PEINDRE AUJOURD’HUI !
Par Henri-Antoine Jalhay
Et peindre autrefois, il y a de cela quelques quarante-mille ans.
Alors, au moment où la calotte glacière recouvrait encore tout et qu’elle entamait sa lente fonte, l’Homme peignait pour la vie.
Le froid régnait et la nourriture se faisait rare, l’humanité vivait en petits groupes soudés et avait une grande soif d’affection. C’est dans ces circonstances qu’apparut une forme de peinture. Elle offrit à la fois l’affection désirée par la tribu mais aussi une préparation rituelle et enhardissante à la chasse, indispensable à la lutte pour la survie.
Cette peinture pariétale fut d’emblée monumentale, les copistes de cartes postales sur lesquels nous trébuchons quotidiennement aujourd’hui n’existaient pas alors, et peindre purement pour le plaisir et la beauté, il n’en était pas question non plus. Pour cela il fallut attendre qu’il fasse plus chaud. Et même très chaud, tellement chaud que l’humanité se retrouve à rêver de vacances toute l’année durant, pour tenter d’échapper à cette même chaleur.
Baignant dans cette« agréable » chaleur contemporaine, il existe aujourd’hui encore des peintres qui estiment avoir une vocation et se confrontent à la monumentalité. Quel toupet !
En effet, les grottes sont pourtant indisponibles désormais, ou alors impénétrables, effondrées ou bien converties en musées accueillant les touristes errants en quête de fraicheur, mais n’ayant plus connaissance du rituel d’autrefois.
Les peintres, tels que Paolo Boosten (Liège, 1989), ne peignent cependant plus avec les mêmes aspirations que celles des premiers Hommes,car nous pouvons aujourd’hui tout trouver dans les supermarchés. Nous n’avons plus besoin de nous mettre en danger à chaque instant, souvent nous ne cuisinons même plus, tout est disponible en petits paquets et prêt à l’emploi. Malheureusement, dans ce confort apparent, l’humanité se trouve confrontée à un problème nouveau : à mesure que la température grimpe et que tout autour de nous s’assèche, la question de notre survie refait surface.
Les peintres tels que Paolo Boosten, peignent donc contre la mort.
En premier lieu contre la leur, et peut-être même contre la mort de la race humaine toute entière ! L’aspect rituel est pour ainsi dire pleinement de retour chez lui.
Ces peintres ne peignent pas pour faire plaisir ou bien pour la beauté du geste, l’humanité en surchauffe peut abondamment trouver écho sur le Net à son appétence de plaisir, sous son propre toit et n’a aucunement besoin pour cela de battre le pavé.Alors la peinture monumentale s’est faite de plus en plus rare. Nous pouvons encore — aujourd’hui — la rencontrer au musée, et peut-être est-ce l’un des derniers lieux ou nous pouvons réellement l’éprouver physiquement ? Demeurant une expérience essentielle, l’humanité contemporaine éprouve elle aussi le besoin de l’affection généreuse que peuvent lui offrir les artistes. En réalité, ce besoin humain qu’est l’évasion dans un univers du ressenti, n’a pas beaucoup changé depuis la préhistoire, seules les circonstances le sont, au vu du cycle monotone et abrutissant de la vie quotidienne de tout un chacun; l’humanité se transformant elle-même dans le gibier qu’elle chassait autrefois.
Travailler sur d’immenses feuilles de papier comme le fait Paolo Boosten, est un acte d’une fragilité et d’un esprit comparable aux pratiques des peintres des cavernes de jadis, à la différence que nous ne disposons plus aujourd’hui de parois souterraines à peindre, s’attaquer simplement aux façades des villes est prohibé et les architectes battissent des palais de verre — laissant abondamment pénétrer la chaleur solaire — mais il n’y a là plus aucun mur ! La peinture elle-même de Paolo Boosten est très liée à la terre, il utilise des matières élémentaires telles que l’eau, la suie provenant des cheminées, des crins de chevaux et du papier constitué de loques de coton. Il est pour ainsi dire à la pointe du recyclage.
Du recyclage il n’en est pourtant pas question en ce qui concerne ses thématiques, celles-ci sont très contemporaines et concernent les rapports humains.
Paolo Boosten est donc un peintre d’idées, il livre ainsi une contribution positive à un monde en mouvement permanent, à des personnes qui savent regarder et lire entre les lignes.
Henri-Antoine Jalhay
Liège, Août 2018
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